Pascal Houmard - auteur

Sous Tiberius Claudius Nero, à Rome

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En plein coeur d’une Rome oscillant entre République et Empire, un chevalier romain osa défier un pouvoir autocrate. 

À l’histoire véridique de ce complot gouvernemental s’entremêlent des éléments fictifs : une histoire d’amour à contre-courant des codes sociaux et le récit d’amitiés mises à l’épreuve mais finalement trahies.



Ce roman, qui se base sur des faits historiques, paraît en mars 2023, aux éd. Regards - éd.Champs-Elysées (Paris).

Ci-après une interview présentant le roman et son auteur :

 

Ci-dessous quelques considérations sur les sources antiques de ce roman,

les sources littéraires de premier rang : les textes antiques.

 

            "Comme l’anecdote de Titius Sabinus s’appuie sur des éléments de la « grande histoire », on peut conjecturer le fait qu’elle n’est pas tout de suite tombée dans l’oubli ; toutefois, les occurrences manquent et il faut attendre le 17e siècle pour voir l’épisode réapparaître, de manière régulière jusqu’au 19e siècle, généralement utilisée à titre d’exemple pour opposer les notions de traîtrise et de loyauté. Depuis, l’anecdote revient plus rarement chez les érudits qui évoquent alors davantage la version de Pline (fidélité du chien) que celle de Tacite (traîtrise des sénateurs) ...

            Toutefois, l’épisode "initial" ne repose que sur trois textes antiques, ceux de Pline l’Ancien, de Tacite et de Dion Cassius. J’ai laissé de côté ce dernier auteur car, écrivant cent cinquante ans après Pline, il reprend, dans notre cas précis, son point de vue sans rien y ajouter, si ce n’est quelques erreurs… Ainsi en altérant le nom de Latiaris ou quand il avance que ses complices se dissimulaient dans les combles de la demeure de leur adversaire, ou encore lorsqu’il prétend que le chien appartenait à Sabinus, non à l’un(e) de ses esclaves ; sur ce dernier point, toutefois, lui laissant le bénéfice du doute, j’ai intégré cette nuance et donné à mon Actis un couple de propriétaires...

            Voici donc une présentation des principaux passages concernés.

            Le premier extrait est tiré de l’Histoire naturelle (VIII, 61) de Pline l’Ancien. Ce dernier a fini de rédiger sa somme au plus tard en 77 de notre ère, deux ans avant de périr lors de l’éruption du Vésuve. Pline n’accorde que quelques phrases à notre épisode et il s’attarde surtout sur la fin pathétique de Sabinus et de son chien, complétant en quelque sorte le récit de Tacite, comme nous le verrons plus loin. Entre autres points intéressants, si les deux auteurs puisent leurs informations dans les actes du Sénat (acta Senatus) et ceux du Peuple Romain (acta diurna Populi Romani), Pline est seul à préciser sa source, ou l’une d’entre elles, autrement dit les actes du Peuple Romain, un journal officiel où étaient consignés les principaux événements du jour ; un autre point à signaler réside dans l’attachement à Nero que Pline prête à Sabinus, détail qui m’a inspiré la rencontre entre les deux hommes.

            Lisons ensemble ma traduction de ce passage plinien :

            "Mais, venant les surpasser tous (< Pline finit ainsi sa liste d’exemples de dévouement des chiens envers leurs maîtres >), ce fait de notre temps, attesté dans les actes du peuple romain, sous le consulat d’Appius Junius et de P(ublius) Silius : comme Titius Sabinus, pour avoir servi la cause de Nero, fils de Germanicus, était châtié avec ses esclaves, le chien de l’un d’eux ne put être chassé de la prison (mieux que : "une fois dans la prison") ; il ne se détacha pas du corps, après que celui-ci eut été jeté sur les degrés des Gémonies ; il poussait des hurlements funèbres, en présence d’une grande foule de Romains assemblés tout autour ; quand l’un d’entre eux lui jeta de la nourriture, il la porta à la bouche du défunt. Le même chien se lança à l’eau, quand le cadavre fut jeté dans le Tibre, et essaya de le soutenir, alors que la multitude était accourue pour contempler la loyauté de l’animal."

Le deuxième extrait est tiré des Annales (IV, 68-70) de Tacite.

            Alors que Pline évoque un épisode qu’il aurait pu vivre enfant, Tacite, bien que né trente ans après les faits, peut encore faire appel à des témoins directs. Certes, la fin de rédaction des Annales nous entraîne dans les années 110, mais cet éloignement temporel n’est pas aussi rédhibitoire qu’on pourrait le croire, puisque Tacite – et Suétone après lui – dispose de sources de première main : les Mémoires d’Agrippine la Jeune, les discours de Tibère, voire – pour Suétone, du moins – les archives impériales et même, peut-être, le journal intime du princeps. En outre, Tacite, plus méthodique et factuel que Pline, envisage ses sources avec plus de sérieux. Ce dont il ne faut pas déduire qu’il fait preuve de l’objectivité d’un historien actuel ! Sa lecture reste orientée et son objectif premier n’est pas tant de plaire aux Antonins sous lesquels il écrit, comme on l’a souvent souligné, que de persuader le lecteur de la vraisemblance de ses lignes.

            Concernant l’extrait ci-dessous, j’ai parfois précisé les termes en latin, en les transcrivant sous la forme qu’ils auraient comme entrées de lexique.

            " [4,68] Sous le consulat de Junius Silanus et de Silius Nerva, l’année commença dans l’ignominie : on traîna au cachot un chevalier romain de premier rang (illustris eques Romanus), Titius Sabinus, à cause de son attachement (amicitia) à Germanicus. En effet, il n'avait pas cessé d'honorer sa femme et ses enfants, les visitant chez eux, les accompagnant en public, resté seul après tant de clients, et, à ce titre, loué par les bons, odieux aux méchants. Contre lui se liguent d’anciens préteurs, Latinius <+Lucanius> Latiaris, Porcius Cato, Petilius Rufus, M(arcus) Opsius, poussés par le désir du consulat, auquel on n'accédait que par Séjan, et le bon vouloir de Séjan ne s’acquérait que par le crime. Il fut convenu entre eux que Latiaris, qui avait quelques relations avec Sabinus, tendrait un piège, que les autres serviraient de témoins et qu’on entamerait ensuite l'accusation. En conséquence, Latiaris se met d’abord à lancer des propos au hasard, puis à vanter la constance de Sabinus, lui qui, ami d'une maison florissante, ne l'avait pas, comme les autres, abandonnée dans les revers ; en même temps, il parlait avec honneur de Germanicus, en s’apitoyant sur Agrippine. Et, quand Sabinus – car le coeur des mortels s’attendrit dans les malheurs – eut répandu des larmes, y eut mêlé des plaintes, alors Latiaris, s’enhardissant, accable Séjan, sa cruauté, son orgueil, ses ambitions ; il n’épargne même pas Tibère dans ses invectives. De tels propos, échangés avec une apparence de complicité, donnèrent l’illusion d'une étroite amitié (arta amicitia). Et bientôt Sabinus prend l’initiative de rechercher Latiaris, de fréquenter sa maison, de lui confier ses chagrins comme au plus sûr des amis.

            [4,69] Ceux que j'ai nommés délibérèrent sur le moyen de faire entendre ces propos par plusieurs témoins. Car il fallait conserver au lieu de la rencontre un air de solitude, et, s'ils se tenaient derrière la porte, tout était à craindre, un regard, un bruit ou un soupçon né du hasard. Entre le toit et le plafond, dans une cachette aussi honteuse que la ruse était infâme, les trois sénateurs se dissimulent, l'oreille appliquée aux trous et aux fentes. Cependant Latiaris, ayant rencontré Sabinus dans la rue, sous prétexte de lui raconter ce qu’il venait d’apprendre, l'entraîne chez lui, dans sa chambre ; et là, le passé et le présent lui fournissent une abondante matière, qu'il grossit de terreurs nouvelles. L’autre répond de même, et d’autant plus longuement que la douleur, une fois qu'elle a éclaté, a plus de peine à se taire. À l’instant fut dressée l'accusation, et, dans une lettre envoyée à César, ils racontèrent, avec le détail de la machination, leur propre infamie. Jamais la cité ne fut plus anxieuse, plus épouvantée : on dissimule devant ses proches ; on fuit les réunions, les conversations, les oreilles connues ou inconnues ; même les objets muets et inanimés, les toits et les murs, étaient scrutés avec circonspection.

            [4,70] Cependant César, dans son message du premier janvier, après avoir, selon l’usage, exprimé des vœux solennels pour l’an nouveau, en vint à Sabinus, qu'il accusait d'avoir corrompu certains de ses affranchis et d’avoir voulu attenter à ses jours et dont il demandait sans ambiguïté le châtiment. Sans délai vint la sentence ; et, pendant qu’on le traînait à la mort, le condamné, autant que le lui permettaient ses vêtements rabattus sur la tête et sa gorge serrée par la corde, ne cessait de crier que tel était le commencement de l'année, telles les victimes (victima : terme lié aux sacrifices) sacrifiées à Séjan ! Partout où il tournait ses regards, partout où portaient ses paroles, c'était la fuite, le désert, on quittait les rues, les places. Certains pourtant revenaient et se montraient à nouveau, épouvantés de leur propre frayeur. On se demandait quel jour serait libre de tout supplice, puisque, au milieu des sacrifices et des vœux, à un moment où l'usage voulait qu’on s’abstînt même de mots profanes, on recourait aux chaînes et au lacet ; ce n'était pas à la légère que Tibère avait assumé l'odieux d'une telle action (tanta invidia) ; il l’avait cherchée et méditée, pour convaincre que rien n’empêchait les nouveaux magistrats d’ouvrir, aussi bien que les sanctuaires et l'enceinte des autels, le cachot fatal. Suivit bientôt un message où il remerciait d'avoir puni un être hostile à l’État (homo infensus reipublicae), en ajoutant que sa vie était pleine d'alarmes, qu'il avait à craindre les pièges de ses ennemis, sans désigner nommément personne ; cependant on ne doutait pas que Nero et Agrippine fussent visés. "

Traduction de P. Wuilleumier, Les Belles Lettres, 2019

            Comme je l’ai relevé plus haut, on pourra voir, certes de manière un peu simplificatrice, une complémentarité entre les deux récits, Tacite détaillant les étapes menant à la perte de Sabinus, sans consacrer une ligne à sa mise à mort et aux humiliations qui la suivent, alors que Pline, au seul service de l’anecdote illustrant sa thématique, ne s’intéresse justement qu’aux derniers moments de notre héros ; de même, Tacite met en avant l’amicitia de Sabinus pour Germanicus et Agrippine, alors que Pline parle de son attachement à leur fils Nero.

            Enfin, un troisième passage, lui aussi tiré des Annales (IV, 64) et présenté dans la même traduction que le précédent, évoque le terrible incendie du mont Caelius, que je relate dans le roman.

            " Le souvenir de cette catastrophe (l’écroulement de l’amphithéâtre de Fidènes) n’était pas encore effacé, quand un incendie d’une violence exceptionnelle s’abattit sur la Ville, en ravageant le mont Caelius ; année funeste, disait-on, et fâcheux auspices pour le projet d’absence conçu par le prince – selon la coutume propre à la foule d'attribuer à un responsable des événements fortuits – ; mais César prit les devants en accordant des sommes proportionnées au dommage. Grâces lui furent rendues au Sénat par des voix illustres et par l’opinion publique dans le peuple, car, sans céder à la complaisance ni aux prières de son entourage, il avait aidé de sa munificence même des inconnus, qu’il avait lui-même fait venir. On ajoute des motions tendant à donner désormais au mont Caelius le nom d’Auguste, vu que, au milieu de l'embrasement général, seule l’image (le mot latin utilisé, effigies, a le sens général de reproduction : j’y ai vu une sculpture) de Tibère, placée dans la maison du sénateur Junius, était restée inviolée. Le même prodige était arrivé jadis, rappelait-on, pour Claudia Quinta, dont la statue avait échappé deux fois à la violence du feu, alors que nos ancêtres l’avaient consacrée dans le temple de la Mère des dieux. La race des Claude était sainte et chérie des divinités, et il fallait rendre plus vénérable le lieu où les dieux avaient manifesté pour le prince une si grande estime. "

            Sans m’arrêter sur les nombreux éléments que j’ai repris dans le roman, je soulignerai un seul point, celui des causes de l’incendie : elles ne sont pas données. Tout au plus Tacite mentionne-t-il, en début d’extrait, une rumeur superstitieuse qui circulait dans le peuple et attribuait ces catastrophes (l’écroulement de l’amphithéâtre de Fidènes et l’incendie du Caelius) au fait que Tibère délaissait la ville de Rome. Croyance que j’ai d’ailleurs exploitée dans mes pages. Sans chercher à établir de parallèle avec le grand incendie de 64, je n’ai pu résister à l’envie de voir dans celui du Caelius une volonté criminelle, et comme la colline, de populaire qu’elle était, n’abrita, peu après la catastrophe, guère plus que des demeures patriciennes, j’ai imaginé un atroce coup monté entre Séjan et quelques-uns de ses clients sénateurs, pour qui Rome pouvait bien brûler… Après tout, on ne prête qu’aux riches, n’est-ce pas ?"

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