Blind Date
Voici une petite histoire qui pourrait intéresser toutes celles et ceux qui rêvent de faire, un jour, une nuit, un speed dating... et les autres, aussi, bien sûr !
BLIND DATE
Et vlan ! Aplati comme une crêpe sur la paillasse du vestibule d'entrée ! Mes jambes flageolaient en entrant dans ce resto, je l'avoue, ce tapis n'est pas seul à battre, mais quelle entrée fracassante ! Et remarquée, si j'en crois mes oreilles : d'un coup, le silence a retenti dans la salle. Je détalerais aussitôt, si le noir total ne préservait mon anonymat.
Mais elle qui m'attend, elle que je viens d'appeler sur son portable pour la prévenir de mon retard, elle doit savoir que c'est moi ! Ah, si seulement c'était du haut de l'escalier rouge de Cannes, le long d'une échelle gris lunaire d'été 1969 ou du sommet du premier arc-en-ciel, au lendemain du Déluge, que j'avais dégringolé, là, au moins, elle n'en aurait rien su. Je l'ai eue, mon entrée ! Au plat de résistance, à présent !
Le sommelier qui me guide me sert, c'est sûr, tout son mépris au-travers de ses lunettes à infrarouge ; du moins redouble-t-il d'avertissements depuis mon infortune : ici, le coin d'une table, là, un changement de surface et, comme on ferait avec un garnement imprévisible ou un pauvre sénile, il me tient par le bras, colle son odeur à la mienne. Mon odeur ! Ma puanteur, oui ! Il m'aura fallu ces ténèbres pour remarquer ma fétidité, exhalaison de trouble, de trotte et de trouille. Trouble d'arriver en retard et avec fracas, trotte d'une heure à pied et en taxi pour rattraper le temps passé à répondre à une ultime candidate trouvée sur le site, trouille, enfin, de délivrer des dehors inavoués : ça va pas être simple de les sauver, cette fois, les apparences !
C'est justement à cause de ces foutues apparences que je me suis inscrit sur Blind Date, un site de rencontres à l'aveugle ; c'est aussi par défi, je l'admets, tant ils m'énervent, mes potes, aussi mal célibataires que bien casés dans leur certitude que deux prétendants au titre de l'amour ne passent jamais que par les apparences, au moins au début du duel, que tout le reste, le cœur, l'esprit, l'âme, n'entre sur le ring qu'après quelques rounds et encore, s'il n'y a pas eu défaite par K.O. Et moi, en dépit des femmes que j'ai connues, fleurs de macadam, sorties de boîte et une pour de vraie, mais larguée aux premiers bourrelets – désolé de ne pas mettre de gants ! –, moi, en champion des poids bien légers, j'ai parié mettre au tapis un beau et bon morceau de femme, sans même l'avoir vu au préalable, comme ça, à l'aveugle.
Sur le site, Blind88 m'avait dévoilé son âge : trois ans de plus que moi, sa taille : cinq centimètres de moins, et son poids... joker ! En somme, à quoi ça rime, tous ces chiffres, sinon à créer des standards artificiels et à produire des statistiques ? Les statistiques ! Si vous avez une paluche sur la glace et une autre dans les flammes, les statistiques arriveront à vous dire que vous êtes à la bonne température. Elle avait ajouté qu'elle était enseignante, détail bien alarmant pour l'ancien zéro de classe tapi en moi ! Or comme je m'apprêtais à la supprimer de mes favoris, dans cet état délectable de l'émir qui sélectionne, au sein de son harem, celle qui partagera sa couche d'un soir, j'avais découvert son goût pour la peinture abstraite, puis, de mail en aiguille, ses préférences pour Malevitch et Mondrian. Et moi qui désespérais, du fond de mon atelier de peinture, d'avoir jamais à partager ces intérêts-là avec une jolie fille !
Et si elle était repoussante ? Si sa face ressemblait à de l'art abstrait, justement, au Visage et violon de Stoebel plus qu'à son Visage enchanteur, voire à certains portraits que Picasso a tirés de Dora Maar ?
Vous avez aimé le début et voulez en connaître la fin ? En cas d'intérêt, n'hésitez pas à me le faire savoir via le formulaire de contact de ce site ou sur www.facebook.com/pascal.houmard, de sorte que je puisse vous alerter au moment de la parution de la nouvelle voire de l'ouvrage, s'il s'agit d'un recueil de "nouvelles houmaristiques"...