Sabine Callegari, La vie augmentée
POUR UNE VIE AUGMENTÉE
Durant l'été 2017, j'ai posté sur Facebook, à un rythme hebdomadaire, quelques courts passages qui ont marqué ma lecture de "La vie augmentée", essai pertinent paru en 2017 chez Albin Michel et magistralement rédigé par la psychanalyste parisienne Sabine Callegari.
Bonne lecture inspirante !
La première série d'extraits est tirée de l'introduction (pages 9-22).
"C'est cela, rencontrer la psychanalyse : saisir la chance de se réorienter, de prendre une direction qui retrouve la gravité du désir. Des effets puissants en découlent, auxquels j'ai consacré les cinq chapitres de ce livre : sortir d'une position de malade, choisir l'amour, trouver un sens à sa vie, être fier de son existence, vivre apaisé." (p 11)
"La vie augmentée désigne la vie telle que chacun peut en jouir après une psychanalyse, et même après chaque séance, puisqu'une psychanalyse est une suite de conquêtes et de franchissements". (pp 11-12)
" « Il est plus facile de désintégrer un atome qu'un préjugé », disait Einstein." (p 12)
"Si elle <la psychanalyse> s'intéresse au passé, c'est pour faire émerger le « jamais-dit » ou « jamais-entendu-ainsi ». De bond de sens en bond de sens, une psychanalyse amène chacun à « devenir ce qu'il est », ou, plus fondamentalement encore, à devenir tout court." (p 20)
" « Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres », écrit Lao Tseu." (p 20)
"Une psychanalyse est une rencontre d'amour. Être accueilli, entendu et relié, c'est d'abord cela qui sauve : pouvoir donner sa confiance à au moins un être humain, s'en remettre à une voix, faite pour part de celle du psychanalyste et pour part de la sienne propre, présence réelle et vivante à laquelle s'accrochera, comme à une étoile, toute la trajectoire de la cure." (pp 21-22)
La seconde série d'extraits est tirée du premier chapitre, "Sortir d'une position de malade" (pages 23-50).
" « Face au monde qui bouge, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. » Francis Blanche, l'humoriste, scénariste et poète, est celui qui, face « au monde qui bouge » et aux péripéties de l'existence humaine, a inventé, avec son complice Pierre Dac, un parti politique, « le parti d'en rire ». (p 23)
"Quand la psychanalyse invite à voyager dans le passé, c'est un passé qui s'explore comme une terre inconnue, si bien que la cure n'est jamais une redite ou une paraphrase de l'histoire d'un sujet, mais au contraire en fait surgir l'inouï." (p 35)
"Dans les textes spirituels, le champ des possibles humains se trouve souvent éclairé d'une lumière nouvelle et d'une transcendante beauté. Aussi ai-je saisi, dans le verset 17 du Sermon sur la montagne (Évangile selon saint Matthieu, chap. V), un souffle que j'ai associé à celui de la psychanalyse : « Je suis venu non pour abolir mais pour accomplir. » Référé à l'action analytique, le Je dont il s'agit (...) désignerait le Je du sujet de l'inconscient, celui que l'on fait parler dans une psychanalyse, et qui, de l'accomplissement appelé à s'y produire, sera toujours le véritable auteur." (pp 45-46)
"C'est d'abord parce que lui, le psychanalyste, est animé d'un désir de savoir, que le patient trouvera le passage vers le sien. Le transfert, « c'est de l'amour qui s'adresse au savoir », dit la définition fondatrice de Lacan, Le patient désire d'abord savoir ce qu'il pense que le psychanalyste sait de lui. Puis, apercevant progressivement que ce savoir est celui de son inconscient, le patient peut alors en prendre la responsabilité." (p 47)
"Très vite, dans l'analyse, le sujet fait l'expérience de ce potentiel de nouveauté inhérent au savoir de l'inconscient. Je peux savoir : ériger chaque patient à la dignité de sujet responsable est l'esprit même d'une psychanalyse et l'espoir infini qu'elle porte. Cette responsabilité est l'alternative autant que le rempart à une position de malade ou d'objet de la fatalité. « On ne peut pas être en même temps responsable et désespéré », a dit Antoine de Saint-Exupéry. Le désespoir est l'affect de la fatalité, quand on éprouve n'avoir plus aucun bonheur à attendre, et, dès lors, ne plus rien pouvoir désirer." (p 48)
Nouveau week-end, nouvel extrait de passages tirés de l'ouvrage de Sabine Callegari, La vie augmentée, paru cette année chez Albin Michel.
La troisième série d'extraits est tirée du second chapitre, "Choisir l'amour" (pages 51-108).
"L'amour de l'analyste est le terrain sécurisé, propice à ce que le patient puisse engager en toute spontanéité le précieux transfert, au nom duquel il libérera son discours le plus intime." (p 67)
"Une cure est, en effet, une suite de moments où un patient saisit que tel phénomène de son être, qui semblait n'avoir aucun sens, devient lisible dans la logique de l'inconscient." (p 71)
"Que le psychanalyste ne prenne pas les choses pour lui, mais s'offre à ce qu'elles passent par lui, garantit la liberté de mouvement des deux protagonistes, la sienne comme celle du patient. Du côté patient, l'enjeu est de permettre la libre émergence de l'Autre dont il est question dans son inconscient, c'est-à-dire de faire apparaître à découvert les différents visages des fantômes qui le hantent. En tant que psychanalyste, il s'agit de garder une liberté de manœuvre permettant de produire les interventions requises par la conduite de la cure sans se sentir personnellement agressé ou angoissé par l'intensité de l'amour de transfert." (p 76)
"Renoncer à savoir à la place du patient de sorte que sa liberté émerge, consiste, pour le praticien, à privilégier un authentique désir d'analyste sur toute forme de pouvoir. Un tel renoncement est un choix d'amour." (p 102)
"Tout ce qui accède à la pensée et passe par les voies du langage n'a plus besoin d'un symptôme pathologique pour exister ou se faire entendre." (p 103)
"Dans l'appel au savoir du psychanalyste, tel qu'il est inscrit dans la nature même du transfert, le patient n'a pas tant besoin de réponses que de répondant, au sens où les réponses qu'il attend légitimement de la cure doivent lui venir en dernier ressort non de la sphère de l'Autre, mais de son cheminement vers lui-même, à la rencontre de son désir." (pp 106-7)
"Comme l'a aussi énoncé un texte religieux à la portée universelle car fondateur de notre humanité : « S'il me manque l'amour, je ne suis rien. »" (p 108)
La quatrième série d'extraits est tirée du chapitre 3, "Trouver un sens à sa vie" (pages 109-150).
" (...) La qualité de changement <de perspective> visée ne tient nullement à son ampleur, mais à sa justesse. La finalité d'une psychanalyse n'est pas d'amener un sujet à révolutionner sa vie, mais de lui permettre d'atteindre le sentiment plein et serein d'être ajusté à lui-même, par lequel il éprouve alors que sa vie a du sens et qu'il y est heureux." (p 113)
" « Qu'est-ce que le bonheur, sinon l'accord vrai entre un homme et l'existence qu'il mène ? », écrit Albert Camus dans Noces." (p 113)
" (...) Une psychanalyse ne métamorphose ni n'influence personne. Elle guide chacun sur le chemin de sa mutation, qui procède d'effets de vérité propre, dont le sujet choisit de prendre acte ou non : dès lors qu'un sujet cherche sa vérité dans la cure, il la voit révélée au fur et à mesure de l'élucidation de son inconscient et de l'invention créatrice de sa parole ; puis il dispose de cette vérité comme il l'entend, en réflexions comme en actions. " (p 113)
" Le non-sens est ce qui, appartenant au savoir de l'inconscient, échappe douloureusement au sujet, mais recèle des possibilités de déchiffrage ; en cela, le non-sens se prend, pour le psychanalyste, dans une acception positive, qui est l'interprétable. Le hors-sens, en revanche, est ressenti comme le lieu de l'échec du sens, là où le sujet éprouve avoir affaire à un réel implacable, hors-loi, venant inexorablement l'accabler et l'expulser de tout sens possible. " (p 114)
" Une psychanalyse répond à la question du sens de la vie en se donnant pour tâche que puisse émerger le sens de chaque vie prise une à une, à partir d'une interrogation que fera sienne chaque sujet dans la cure : « Suis-je ajusté à la vérité de mon désir ? » et « Suis-je accordé à mes valeurs ? ». " (p 116)
" « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de ces hommes et femmes le désir de la mer », Citadelle, Antoine de Saint-Exupéry." (pp 116-7)
" Le cœur du message freudien consiste en ce que tout sujet humain est habité par un désir essentiel, un seul, indestructible, et que ce désir est fondamentalement inconscient. " (p 117)
" « Le bonheur est un rêve d'enfant réalisé à l'âge adulte » : cette formule de Freud condense l'appartenance du désir, comme le rêve, au monde de l'inconscient, et son indestructibilité, qui prend sa source dans l'enfance, au moment où se mettent en place les éléments structuraux de notre subjectivité. " (p 117)
" Dans une déclaration célèbre, Freud a dit préférer la fleur de son jardin à la gloire posthume qui l'attendait. Sans doute chaque fleur de ce que les religieux appellent la Création a-t-elle une grâce universelle pouvant être reçue comme divine. La gloire posthume peut être attendue, elle aussi, comme une élection divine et désirable de tous, en ce qu'elle donne une forme d'éternité. Pour autant, le bonheur incomparable, la plénitude de sens qu'éprouvait Freud en contemplant sa fleur, ne venait de rien d'autre que de sa propre sensibilité à cette fleur. Aucune femme divine ne vous tombera du ciel pour s'accorder à vous si vous n'en faites pas votre fleur." (pp 121-2)
" La psychanalyse est une pratique qui œuvre essentiellement à l'autonomie d'un sujet, inscrite en filigrane dès le premier instant de la cure, et lui donnant constamment son axe. Cette visée fondamentale rend la psychanalyse antinomique de toute action thérapeutique qui s'obtiendrait par un effet de suggestion, voire une mainmise sur la pensée du patient et sur sa manière d'orienter sa vie. " (p 130)
" (...) Je suis chaque fois saisie par la beauté et la poésie des mots, même des plus simples, spontanément exprimés par les patients pour embrasser leur parcours. Ces mots (...) sont des perles de sens.
À cet égard, je n'ai jamais oublié l'instant où mon tout premier patient, traité en milieu hospitalier, est venu me voir pour la dernière fois, avant de quitter l'unité de crise où il avait passé plusieurs semaines. D'origine étrangère, parlant un français sommaire, il était arrivé dans un état de désespoir aussi aigu qu'aveugle, après une tentative de suicide qu'il avait dit « ne pas pouvoir s'expliquer » : un jour d'hiver glacé, il s'était jeté dans la Seine, et avait été sauvé in extremis de la noyade par les secours. Tandis qu'il s'apprêtait à sortir de l'hôpital, presque méconnaissable tant il avait repris des forces physiques et mentales, il m'a adressé cette bouleversante métaphore : « Je voulais vous dire que maintenant, ça va aller dans la vie. Ne vous inquiétez plus. Avec vous, j'ai appris à nager. » " (p 133)
" Cerner, grâce à la cure l'objet cause du désir, est un phénomène décisif qui touche à l'un des ressorts les plus secrets du sens d'une vie, et en modifie le cours. Ce mouvement ouvre une fenêtre sur la structure même du désir, faisant entrer dans un ordre de pensée qui touche au cœur de la singularité du sujet, et dépasse alors tous les clichés. Un tel aperçu permet au sujet de se déplacer de l'intérieur, de trouver une latitude nouvelle au regard de ce qui, auparavant, organisait sa vie à son insu. " (p 138)
La cinquième série d'extraits est tirée du chapitre 4, "Être fier de son existence" (pages 151-200).
"La psychanalyse ne dit pas où est le bien, elle ne prescrit pas de morale, mais elle porte absolument une éthique qui est une éthique du sujet. Cette éthique procède d'un renoncement à une part de jouissance (plus ou moins obscure) et est centrée par l'objet cause du désir. Dès lors, un psychanalyste ne se pose jamais comme sachant a priori ce qui est bien ou bon pour le patient, puisqu'il n'est, dans sa fonction, le tenant d'aucune religion, d'aucune morale, ni d'aucune idéologie." (pp 153-154)
"Ainsi, une psychanalyse conduit à un jugement éthique sur notre propre action, elle porte en elle une mesure de notre conduite. De cette éthique découle ce qui s'observe chez les patients au terme de leur parcours : un sentiment de légitime fierté, ainsi qu'une légèreté d'être, une joie, voire un enthousiasme, de nature à éclairer une vie.
Trouver un sens à sa vie, par les voies de la psychanalyse, c'est s'éprouver comme lumineusement vivant à partir du noyau désirant qui nous anime, c'est placer au centre de sa vie « une mesure incommensurable, une mesure infinie, qui s'appelle le désir » (cette expression est de Lacan). Être fier de son existence, objet du présent chapitre, c'est revenir au sens, éthique, de sa pensée, de sa parole, de sa conduite, de son action pour s'engager dans une forme de progrès intérieur." (p 154)
"Le burn-out est l'une des formes contemporaines de la dépression telle qu'elle se manifeste dans le champ du professionnel, où l'ordre des pouvoirs, quand il n'est pas mis en œuvre de manière éclairée, peut gravement maltraiter le sujet. Si le symptôme d'épuisement, physique et psychique, est prégnant dans le tableau clinique du burn-out, il est certes la conséquence d'un surmenage, mais, plus profondément, d'un dilemme moral dans lequel le sujet a été jeté, et qu'il a dû ou cru devoir trancher à l'encontre de son désir. L'efficacité de la psychanalyse dans le traitement du burn-out tient à ce fait qu'elle en répare la véritable cause, à savoir la souffrance éthique d'un sujet qui a été forcé à céder sur son désir fondamental." (pp 162-163)
"Le sentiment de vide dépressif provient de la perte d'un objet qui se trouvait fondamentalement investi par le désir du sujet. Lorsqu'une telle perte se produit, le désir du sujet se trouve en souffrance, et tend à désinvestir l'ensemble du monde des objets (...). Le sujet éprouve alors douloureusement la désertion de l'élan vital qui l'animait : c'est le vide dépressif (...). La perte qui met ainsi le désir à mal peut concerner un objet de la réalité tangible, comme un travail, un bien précieux ou l'être aimé. Elle peut aussi porter sur un objet de la réalité psychique, objet abstrait alors, comme le sont un idéal, une croyance,un dessein." (pp 166-167)
"(...) La dimension de la perte caractérise toute vie humaine, en différents points structuraux qui constituent des étapes universelles (comme l'entrée dans le langage ou la traversée du complexe d'Oedipe). L'insatisfaction et l'épreuve du deuil font partie de notre douleur d'exister, mais créent aussi le manque vital à partir duquel nous sommes des êtes essentiellement désirant, donc vivants : sans le deuil des parents œdipiens, nous ne pourrions être animés du désir de retrouver l'amour dans le monde et de faire un couple, par exemple.
Comme la perte est le réel même de l'existence humaine, toute psychanalyse comporte l'accomplissement d'un deuil par lequel nous parvenons à ne plus dépendre de tel ou tel objet, mais à nous orienter sur notre désir." (pp 167-168)
"Pour la psychanalyse, aucun état dépressif n'est inéluctable ni inamovible, même lorsqu'il se présente comme massif et chronique. La guérison du sujet déprimé requiert de remonter à la perte originelle inconsciente, qui l'a laissé comme en deuil perpétuel, et de laquelle son désir n'a pas pu renaître. Le travail analytique s'attache alors à suivre patiemment ce fil d'Ariane qu'est la tristesse ressentie du sujet, jusqu'à ce qu'elle le conduise, de chagrin exprimé en chagrin exprimé, à cerner la perte inaugurale ayant marqué sa vie." (p 169)
La sixième série d'extraits est tirée du chapitre 4, "Être fier de son existence" (pages 181-200).
" Une différence fondamentale sépare l'acte bien orienté du geste fou, appelé « passage à l'acte » en ce qu'il court-circuite la pensée du sujet : dans l'acte bien orienté, éthique donc, le sujet ne se perd pas, mais se retrouve. Il ressent que cet acte a produit de puissants effets de vérité, ainsi que le renouveau de son désir fondamental (...)." (p 181)
" S'avancer sur la voie de notre désir n'est pas sans difficultés, car il s'agit d'une voie risquée, pour laquelle il y a toujours un prix à payer. L'accès au désir comporte de franchir des peurs, des craintes, y compris celle de faire souffrir l'autre. L'accès au désir exige aussi de consentir à certains renoncements, qu'il s'agisse d'attachements bénéfiques ou de dépendances symptomatiques. En conséquence, tout sujet s'avançant vers son désir, vers son élucidation puis vers sa mise en actes, est appelé à trouver sur sa route la dimension du dilemme. Celle-ci peut se traduire par l'antinomie entre le désir et la prudence, ou entre le désir et la raison, ou entre le désir et la pitié, ou encore entre des désirs se présentant comme contraires. " (pp 181-182)
"Appelant chacun à ne pas ou ne plus céder sur son désir, une psychanalyse ouvre une perspective qui inscrit la possibilité de l'héroïsme dans l'existence de tout être humain. Cette possibilité transcende la dichotomie entre ceux qui, dans les faits, auraient ou non un destin héroïque, puisqu'il s'agit d'un courage intime procédant d'un ordre intérieur, d'une inflexion éthique donnée jour après jour à sa vie : « En chacun de nous, il y a la voix tracée pour un héros, et c'est justement comme homme du commun qu'il l'accomplit », a dit Lacan. " (pp 186-187)
" Dans une psychanalyse, les trébuchements, les surprises, les étrangetés, les ambiguïtés du langage se cueillent comme des messages ou des chiffrages qu'a formés l'inconscient. Tout psychanalyste place une confiance indéfectible en ce fait que l'énonciation inattendue, paradoxale, voire scandaleuse d'un sujet, ouvre au champ prodigieux de l'inconscient. Le phénomène incongru dans la parole peut prendre aussi bien la forme d'une métaphore que d'une bévue, d'un ratage, d'un oubli, d'une énigme, d'un lapsus. Dans tous les cas, l'incongruité sera traitée dans la cure comme la plus précieuse des poussières d'étoiles.
Le champ d'étoiles, c'est le savoir de l'inconscient. Déchiffrer à la lettre, au plus près du texte spontané du patient, les apparentes anomalies de la parole, c'est entrer dans la logique infiniment subtile et inventive par laquelle les chaînes langagières de l'inconscient ordonnancent un discours qui est précisément le savoir de l'inconscient." (pp 189-190)
"Qu'il y ait de l'inaccessible au sens, de l'indécidable, de l'impossible, est précisément ce qui donne, pour chacun, tout son prix au possible qu'ouvre une psychanalyse : décrocher, dans le champ de l'inconscient, des étoiles de savoir qui guideront sa vie. Ce savoir de l'inconscient, dont l'horizon est un savoir sur le désir, conduit non pas à une frustration quant à sa limite, mais au contraire à un sentiment de satisfaction, voire d'enthousiasme, promis à chaque sujet au terme d'une psychanalyse. Ce sentiment d'enthousiasme signe la dimension d'infini qui vient transcender la finitude du langage, et que chacun peut ressentir en ces termes : « Le désir n'est pas un ciel étoilé au-dessus de nous, mais en nous » (la formule est de Jacques-Alain Miller)." (p 193)
"Une psychanalyse est un nouveau rapport au langage dans lequel la parole n'est pas conçue comme un instrument de communication, mais comme véhicule de révélations. Comme l'a formulé Lacan, « la fonction du langage n'est pas d'informer mais d'évoquer ». Quand ce qui est évoqué par l'association libre du patient se trouve déchiffré et interprété dans la cure, les révélations arrivent." (p 199)
"En somme, la bonne nouvelle psychanalytique – l'espoir existe puisque le nouveau se révèle possible – est portée à tout homme qui cherche à bien dire pour interroger le ciel en lui, et qui consent ainsi à aimer son inconscient." (p 200)
La septième série d'extraits est tirée du chapitre 4, "Être fier de son existence" (pages 151-200).
Peu de gens ont su, aussi bien que Woody Allen, représenter au cinéma un personnage habité par ses angoisses. Dans quelques pages de La vie augmentée, ouvrage paru cette année chez Albin Michel, Sabine Callegari s'attarde sur le personnage allénien, avant d'analyser la mécanique de l'angoisse.
Voici donc une nouvelle liste de passages tirés de ce manuel du mieux-vivre, plus précisément du chapitre 5, "Trouver un sens à sa vie" (pages 201-218). Pour celles et ceux qui nous rejoignent, les groupes d'extraits précédents se trouvent plus haut sur mon mur...
" Dans son oeuvre cinématographique abondante, le héros – ou plutôt antihéros – [imaginé par Woody Allen] apparaît comme une figure tragicomique de l'homme contemporain enlisé dans ses interrogations existentielles, encombré de ses conflits intérieurs, englué dans ses inhibitions et parfois harcelé d'angoisses. Pourtant, ce protagoniste n'a rien d'un homme accablé par le destin : représentant de l'intelligentsia new-yorkaise, il mène une vie aisée, qu'il traverse en trébuchant sur ses obsessions, ses soucis avec l'autre sexe, ses embarras avec son corps où siègent ses bégaiements, sa maladresse maladive, son hypocondrie dévorante et sa peur de la mort. Cet homme n'est donc ni en détresse ni fondamentalement malheureux ; il est affecté [en italiques dans le texte]. Conscient de son état, il tente de le traiter par une perpétuelle introspection, dont Woody Allen caricature le style élitiste, sceptique, individualiste, voire nombriliste.
C'est dans ce tableau qu'entre la psychanalyse : comme bon nombre de ses personnages, son héros fréquente assidûment le cabinet du psychanalyste, qu'il consulte compulsivement dans les situations les plus banales, et dont il est devenu dépendant. En cela, il se dégage de toute responsabilité dans son mal-être comme dans ses choix. Dans une thérapie qui s'annonce comme forcément sans fin, il s'en remet à son psychanalyste, appelé en place d'ange gardien ou d'oracle. (...)
Ce que Woody Allen présente de la psychanalyse se trouve aux antipodes de ce qu'elle est. Certes, l'expression cinématographique, américaine, est rendue amusante, et même charmante, par le talent du réalisateur. Mais c'est bien un contresens qui y a cours, faisant certainement intervenir le propre rapport de Woody Allen à la psychanalyse." (pp 201-202)
" Au commencement d'une psychanalyse, il y a toujours le tourment de l'affect, que le sujet éprouve sous la forme d'une souffrance difficile à supporter et dont il vient demander l'apaisement. Un affect, c'est littéralement ce qui affecte un sujet, ce qui le touche. Ce (...) peut être de l'ordre du plaisir ou du déplaisir, concerner sa vie psychique (...) ou sa vie physique (...). (...)
L'efficacité révolutionnaire de la psychanalyse s'enracine en cette lucidité fondamentale : l'affect est un effet. L'affect se ressent, mais ne se déchiffre pas. Ce qui doit se déchiffrer, c'est sa cause. Hors du traitement de cette cause, il n'existe aucun moyen de guérir l'effet. " (p 204)
" Contrairement à ce qu'en représente Woody Allen, la psychanalyse sait ceci : laisser s'épancher indéfiniment le discours des affects ne conduit pas au savoir sur la vérité du sujet et ne le soulage que momentanément. En revanche, mis en mots et réarrimés aux chaînes de la parole, les affects sont de précieux fils d'Ariane que le travail analytique devra remonter, jusqu'à déchiffrer ou cerner ce qui les détermine. " (p 205)
" Examiner ces affects tels que la cure les traite rendra sensible le point ultime de la guérison par la psychanalyse, et ce qui signe sa fin. " (p 207)
" Interpréter l'alerte de l'angoisse pour cerner l'objet réel qui la produit : c'est ainsi que la psychanalyse soulage le sujet, mais aussi l'éclaire dans la conduite de sa vie.
Cet abord psychanalytique de l'angoisse est un véritable cheminement, rigoureux et patient. Sans enfermer le discours du sujet dans un exercice d'enquête maîtrisé, qui passerait à côté de l'inconscient, il s'agit d'examiner, au fil de l'association libre, chaque message délivré par l'angoisse dans chacune de ses survenues. Reliant les points, le psychanalyste et le patient parviennent à remonter jusqu'à l'objet inconnu, cet objet causal qui ne passe jamais directement au langage, mais qui, indice après indice, dessine autour de lui son visage. " (p 211)
" Devenue passagère, ayant perdu toute charge douloureuse, l'angoisse appartient désormais à ce que nous pourrions appeler le relief affectif normal d'un sujet (...). Dès lors, l'affect d'angoisse (...) est (...) l'un des plus surs alliés des droits du sujet. Capteur du danger qui empêcherait le sujet d'exister comme tel, l'affect d'angoisse est aussi un capteur de son désir. Mieux, il est comme un fil d'Ariane pouvant guider le sujet vers le champ où se déploie la force du Désir. " (p 218)
" (...) Quand un sujet est ravalé par l'Autre au seul rang d'objet cause de son désir ou d'objet de ses pulsions, il répond au fantasme de l'Autre sans doute, mais ne reçoit pas d'amour à cette place. L'amour, en effet, ne concerne pas le registre de l'objet, mais celui du sujet, alors reconnu dans son être par un autre être. " (p 217)
La huitième série d'extraits est tirée du chapitre 4, "Être fier de son existence" (pages 151-200).
Mes pas de lecteur se font plus pesants. Mon âme enfonce davantage au fil des pages...
Dois-je l'imputer à l'ouvrage de Sabine Callegari (La vie augmentée, paru cette année chez Albin Michel) ou à mon rythme propre ? Ce qui est sûr, tout au moins, c'est que le ralentissement de ma lecture est inversement proportionnel à l'augmentation des passages retenus.
Peut-être que le fait de me familiariser avec le raisonnement et les références liés à la didactique de la psychanalyse, d'en reconnaître l'intelligence et la valeur, a rendu mon avancée plus précautionneuse, comme il arrive quand on s'aperçoit soudain qu'on évolue dans un magasin de porcelaines... Et tout ce poids donné aux choses se ressent dans mes pas.
Ou bien dois-je expliquer ce fléchissement de rythme par le désir de prolonger la rencontre avec l'ouvrage et son auteur, par l'angoisse sourde de quitter l'Autre, de laisser son absence devenir trop présente...
Ah, le désir, l'angoisse, l'Autre ! Autant de thèmes abordés notamment dans les pages 218 à 239 de La vie augmentée et dont je vous sers ici quelques extraits choisis, en espérant, une fois n'est pas coutume, ne pas trahir la cohérence du texte original.
" Aux premiers temps de la vie du sujet, la situation de détresse en appelle à l'Autre secourable, le plus souvent la mère ou le père qui, par sa réponse adéquate, vient apaiser la détresse de l'enfant. C'est de ces temps anciens que provient la représentation, inscrite en chacun de nous, d'une certaine omnipotence de l'Autre, dont la réponse avait alors valeur de vie ou de mort. Le danger signalé par le sentiment d'insécurité ne relève pas tant des catastrophes concrètes redoutées (...) que de la nature faillible de cet Autre dont le sujet se ressent comme dépendant. L'angoisse prévient le sujet qu'il risque de faire l'expérience d'un manque, qui est un manque d'aide donc un manque de l'Autre qui ne répond pas. L'Autre fait défaut au sujet, qui s'éprouve alors comme radicalement seul, ou plus exactement comme esseulé, car séparé de tout lien humain, voire réduit à un statut d'objet désarrimé.
Ainsi, l'expérience de détresse sans recours telle qu'elle a marqué le sujet est, en son fond, l'expérience inaugurale du défaut de l'Autre. " (p 220)
" « Qu'est-ce qui nous protège, nous humains, dans l'existence ? » : une psychanalyse est un réceptacle de cette question, un creuset où chacun pourra refondre son angoisse et forger sa réponse. (...)
Qu'une psychanalyse puisse traiter l'appel, si humain, à une protection dans l'existence, comporte, pour le sujet, un enjeu d'apaisement essentiel. Il s'agit d'oeuvrer à ce que, malgré les tragédies déjà survenues, malgré les catastrophes toujours possibles, malgré le défaut fondamental de l'Autre, la condition humain apparaisse à chaque sujet comme simplement viable, heureuse même, et non comme un destin de mélancolie, de désespoir ou de résignation. " (pp 221-222)
" Bien se séparer de l'Autre consiste à accepter son manque fondamental comme un réel universel de l'existence humaine, puis à y voir la possibilité de s'apaiser, de se penser libre et, essentiellement, libre de désirer. " (p 233)
" « Que l'Autre manque est ce dont le sujet doit faire l'épreuve pour transformer ce manque en appui » (Pierre Bruno) : on ne saurait mieux définir la protection telle que chaque patient peut la construire dans la trajectoire d'une psychanalyse. " (p 234)
" Savoir se paie d'une certaine angoisse, au moins dans un premier temps (puisque la cure analytique constitue un recours permettant de traverser l'angoisse). Cette corrélation de départ entre notre puissant élan vers le savoir et son tribut d'angoisse, qui se vérifie à l'échelle de chacun, s'est aussi manifestée dans la grande Histoire de l'homme : l'apparition de la science a coïncidé avec l'émergence du thème de l'angoisse, dans la philosophie puis la psychanalyse. " (p 237)
" Depuis cette mutation historique opérée dans sa relation à la mort, l'homme moderne, celui de l'intelligence scientifique et philosophique, celui qui n'est pas forcément athée mais choisit l'amarrage de sa pensée, celui qui paie son savoir de son angoisse, est ce sujet à la fois libre en puissance et éperdu auquel la psychanalyse offre d'apaiser ses peurs et de trouver sa singularité unique. " (p 239)
La neuvième et dernière série d'extraits est tirée du chapitre 4, "Être fier de son existence" (pages 151-200).
« Devenir ce que l'on est. »
L'assertion que met en exergue Sabine Callegari dans les dernières pages de son livre, La vie augmentée, paru chez Albin Michel cette année, reprend le fameux « Deviens ce que tu es » de Nietzche. Or dans ses lignes toutes de nuances, la psychanalyste d'une part change l'impératif en infinitif, mode de l'infini et de l'in-fini, c'est-à-dire le non-fini, et d'autre part emploie « on », revêtant le pronom « tu » d'un voile, indéfini tout comme ce sujet que je deviens, quand je m'inscris dans une dynamique, elle-même in-finie, d'accomplissement.
Qui osera dire encore que les termes "indéfini" et "impersonnel" sont synonymes ?
Voici donc ma dernière sélection de passages, couvrant les pages 239 à 260 de La vie augmentée.
Je tiens ici à remercier l'auteure pour avoir toléré – et même encouragé – ces nombreux découpages, toujours bien subjectifs, que j'ai opérés dans son ouvrage : elle a ainsi témoigné, par cette ouverture de coeur et d'esprit, cette écoute vibrante, cette courtoisie sincère, d'une magnifique congruence.
J'espère que ce partage hebdomadaire vous a donné envie de lire son livre, infiniment plus riche, bien sûr, que les quelques citations que j'en ai tirées, sans parler des nombreux "cas cliniques" qui y sont présentés, morceaux de vie, trajectoires de patients d'autant plus émouvants qu'ils pourraient être vous, qu'ils pourraient être moi.
Et comme de cet ouvrage il reste l'épilogue à traiter, rendez-vous vendredi prochain, 25 août, pour une publication très spéciale !
" L'inconscient ne s'ouvre jamais par les voies du débat théorique ni de la raison, mais par celles de la surprise et de l'amour de transfert. " (p 241)
" Toute demande d'amour est une demande d'être. " (p 242)
" La soustraction de soi-même à l'ordre du monde est ce que Lacan a appelé « la vraie mort », caractérisant la position du héros, notamment celle d'Oedipe roi dans la tragédie de Sophocle. Ayant vu s'accomplir le drame de sa trajectoire, en laquelle il semble n'avoir été que le jouet d'un destin funeste et d'une horrible malédiction (...), le héros est celui qui refuse cette position d'objet et ne cède pas sur son désir (...). Dès lors, le héros assume tout de son existence, la malédiction, la solitude absolue, l'effacement même, jusque dans les zones où affronter son anéantissement dans une position ferme et consentie devient la seule façon de subsister comme sujet et de soutenir son désir. Aux aléas de la mort réelle venant frapper l'homme du commun, il préfère la mort assumée : se soustraire à l'ordre du monde, se soustraire à tout Autre donc, et sauver ainsi la possibilité de continuer à désirer. " (pp 244-245)
" Le parcours d'une psychanalyse, mené à son terme, est ce qui permet au sujet de franchir le point d'angoisse (...), de l'alléger des peurs qui hantent les hommes – peur de la solitude, peur de la disparition, peur de sombrer dans l'oubli, peur de ne pas laisser de trace, peur de ne pas avoir vraiment vécu – et de lui permettre de ressentir le fait même d'exister comme satisfaisant. En cela, la vie augmentée se saisit comme la vie telle qu'elle prend enfin toute sa densité, ses potentialités, sa luminosité. " (pp 245-246)
" Atteindre ce point de franchissement de l'angoisse, assumer l'être-pour-la-mort, sans l'Autre donc, c'est rencontrer son désir, c'est s'accueillir soi-même comme sujet, c'est s'affirmer comme vivant. " (p 247)
" Je considère que la formule de l'argumentation subjective par les voies de la psychanalyse a été livrée, dès l'origine, par Freud en cette phrase saisissante qui, à la manière d'un poème, ne cède jamais tout à fait son mystère : « Là où c'était, je dois advenir. » Ce que Lacan a appelé plus tard « sujet de l'inconscient » résonne en cette formule. " (p 257)
" Via la parole telle qu'une psychanalyse la met en action à des fins de guérison, le sujet advient, mais aussi il se déplace et se transforme. Ainsi, le changement fondamental résultant d'une psychanalyse procède d'une libre mutation du sujet plutôt que d'un impératif de surpassement : l'homme analysé, à la différence de l'homme nietzchéen, ne devient pas un surhomme mais un homme éclairé par une lumière nouvelle, un homme augmenté
S'il est plus éclairé, c'est au sens où il distingue mieux sa vie : il voit mieux la lumière, les ombres aussi d'ailleurs. La vie augmentée est une vie qui sort de l'uniformité du gris. " (pp 258-259)
" Devenir ce que l'on est par les voies de la cure consiste à « découvrir son être de symptôme » (Pierre Bruno), à inventer comment vivre avec lui au plus près de son désir, et à conclure alors que l'on en sait assez. (...) Mon symptôme (...) n'est plus un fardeau qui m'affecte, mais une lumière qui éclaire alors une route unique, avec toutes ses ramifications singulières, ma route.
Ma route n'est plus celle qu'un destin ou que ma propre nature auraient tracée pour moi. Elle est désormais ce que je suis et ce que j'invente, inspiré par mon désir et ses surprises. Dans une psychanalyse, on devient ce que l'on est, et aussi ce que l'on n'est pas.
La vie augmentée, c'est cela : je deviens." (pp 259-260)